Léon Bloy a des yeux de bœuf et un cerveau félin. En cela, il représente une anomalie biologique puisque c’est souvent le contraire qui prédomine. Sa face est une mythologie. La plupart de ses livres sont mal fichus, hyperboliques, si gonflés de références bibliques que plus personne ne comprend, qu’on a l’impression qu’il les a écrits après la crucifixion. Et, pourtant, son sens de la formule, son goût pour la polémique et la vindicte, ses insultes en font le plus grand des contemporains. Sa modernité réside dans son aigreur et son absolue incompréhension du monde qui l’entoure. Il dépréciait déjà les automobiles autant qu’il dépeçait de son verbe les grossistes du bonheur. Son venin est sa modernité et sa modernité lui interdit tout accès, même hasardeux, à l’actualité. Il n’est pas des nôtres, et c’est ce qui le rend si proche de nous. Il nous déteste, c’est pour cela qu’on l’aime. La morale, même chrétienne, ne l’intéresse pas, c’est la raison pour laquelle nous lui sommes redevables. Pour moi, la trinité à la fin du XIX et au début du XX siècle, ce sont quatre diaristes : Jules Renard, les Goncourt, Léon Bloy. Lire ce dernier, c’est un peu sortir du coma pour retomber en enfance, l’époque où l’on peut tout dire et ne rien craindre.