A cause du cinéma italien, notamment, une légende a couru sur la prééminence de l’incommunicabilité entre les êtres. Comme toutes les légendes, celle-ci est fausse. En outre, elle a le tort d’être stupidement fausse. En réalité, les humains – comment pourrait-on les qualifier autrement bien qu’ils ne ressemblent nullement encore à des humains ? – parlent trop. Et pour les couples, c’est encore plus absurde. C’est le bavardage entre époux qui les tue. Sur l’oreiller, seul le silence devrait compter. Or, même après un coup de rein, il faut dire quelque chose : « c’était bien ? » ou « à quelle heure te lèves-tu ? ».Dix, vingt, parfois trente ans pour les pervers polymorphes, sans interruption verbale, il y a de quoi chercher une maitresse, recourir à un amant ou tout simplement s’adonner à l’abstinence, n’est-ce pas ? J’avais proposé – il fut un temps – un mois du silence. Tout le monde aurait l’obligation légale de se taire. En juillet, par exemple. Cela rabibocherait bien des couples. Aucun député ne m’a suivi en dépit des missives argumentées, envoyées à tous les bords politiques. Et, pourtant, c’est la seule réforme qui aurait du sens. Au lieu de cela, on continue de bavasser, à hue et à dia, chez soi, dehors, tout seul même souvent. Les moyens contemporains de sonorisation – téléphones et autres doudous –démultiplient cette frénésie d’échos : on aspire tous à rentrer dans la grotte, l’époque bénie où aucun silence n’était possible car le moindre ronflement était accru par les parois caverneuses. Pourtant, qu’y a-t-il de plus enchanteur, de plus merveilleux que de tenir la main de sa bienaimée, sans mot dire, face à la mer… dans la Hauteville de Granville, au hasard ? Les vagues sont l’unique radio. On se tait, on sait que cela est suffisant. Instaurons donc une année du silence : le bonheur est à ce prix. Une fois de plus, c’est Fra Angelico qui nous montre le chemin. « Chut ! » donc. Embrassez-vous, vous vous laverez les dents plus tard.