Les usines à touristes sont poétiques

Les usines à touristes sont aussi des objets poétiques et philosophiques.  Un touriste est avant tout un être humain qui ne sait pas pourquoi il existe. Un poète est avant tout un philosophe qui ne comprend pas pourquoi un touriste existe. Ayant loué une maison isolée sur une falaise escarpée face au Mont-Saint-Michel, alors que le vent souffle diantrement sur la baie vitrée qui semble alors dériver sur les vagues en contrebas, je m’interroge benoîtement sur le principe de liberté. Les hommes détestent la liberté, parce qu’elle les rend étrangement libres. Sinon pourquoi s’agglutineraient-ils sur un caillou – le Mont-Saint-Michel en l’occurrence – quand bien même le site serait extraordinaire ? Pourquoi mangeraient-ils des chichis ? Ou des crêpes au Nutella ? Pourquoi prendraient-ils tous la même photo inutile de la rue montante, elle-même passablement irritée de n’être pas descendante ? Pourquoi ne loueraient-ils pas une maison isolée pour réfléchir au sens de la liberté ? Pourquoi toujours pourquoi ?  Avant d’aller à la pêche à pied, et d’échapper au syndrome de la toile cirée, je dirais que personne n’aime la liberté. C’est trop difficile à supporter. Assez bizarrement, la liberté ne rend pas libre au sens traditionnel. La liberté est une épreuve et donc une menace contre ce que nous sommes dans la fosse du quotidien. Marcher sur le chemin des douaniers un jour de tempête en donne le vague pressentiment. C’est une histoire déplaisante contée par un bègue à un tympan crevé. Ce n’est pas une bonne blague que l’on partage entre amis en buvant des verres et en pariant sur des résultats sportifs. En troupeau, tout paraît plus beau, certes. Rien de plus facile que de beugler ensemble en agitant les drapeaux grégaires : la nation, les voyages, l’amour des enfants et de la famille, les droits de l’homme, la race, la soupe à l’oignon, les vacances et la vidange de la voiture. La liberté humanise. Elle est âpre comme une hémorroïde. Cependant, nous souhaitons rester des singes, à nous gratter les fesses. Du haut de noscocotiers, nous houspillons la solitude et la détresse qui nous affectent pourtant un vrai visage. La liberté nous gondole et nous fripe. C’est une chirurgie esthétique à l’envers. Mais, de toutes nos forces, nous luttons contre cette possible émergence des hypothèses et des mondes différents. Avoir le choix nous dégoûte prodigieusement. Surtout, continuer à être ce que nous sommes fûmes, sommes et serons. Les marchands de chichis, les concessionnaires automobiles, les photographies du petit dernier et les romans de professeurs de français ont encore un bel avenir.