Céline chevauche les trois mousquetaires

L’enfance est géniale, surtout quand elle nous permet de sortir de l’analphabétisme natif. Depuis Oscar Wilde, on sait que tous les hommes naissent fous et qu’une minorité le demeure pour le plus grand bénéfice de l’humanité. La grande majorité réussit sa vie, part en vacances et achète des maisons avec un jardin dont la pelouse est tondue rituellement: c’est tellement ennuyeux que cela ne peut être que biologique. C’est une manière de se préserver des nombreux chemins que l’on aurait pu emprunter. L’esprit n’est pas rectiligne. Il loge dans une balle qui n’a pas été encore tirée et qui n’atteindra probablement jamais sa cible. Kant dit justement que la liberté réside dans le fait d’envisager toutes les hypothèses. Le seul hic, c’est qu’on est incapable de toutes les réaliser. Pour se protéger du fait souvent qu’il n’y a même qu’une seule hypothèse pour toute la vie (on s’installera à New York quand les poules auront des mâchoires pour mastiquer toutes les banalités), il est nécessaire de repeindre ses volets, faire aboyer son chien derrière le portail électrique et trouver le sport passionnant. Sinon, les pendaisons seraient si nombreuses que les jambes en l’air formeraient des guirlandes pour tous les arbres de Noël.  Heureusement, de temps en temps, un enfant est sauvé de cette terreur journalière  par la lecture des Trois mousquetaires ou du Voyage au bout de la nuit. A quoi serviraient les cadeaux sinon ? Quoi de commun entre Dumas et Céline ? Tout. Ils aiment l’épopée, les rebondissements, les courses, les intrigues, les personnages loufoques, les situations tordues. Certes, Céline est plus pessimiste mais il rend gorge au pessimisme statique. Sa noirceur est dynamique. Elle monte à cheval. Son apocalypse a des éperons ! D’un château l’autre ! Nord ! Que de vies, de rues et de villes traversés, de grues et veules approchés, de personnages à la Le Vigan ! Le quai des brumes à portée de main dans l’ambiance moite d’une réalité qui n’a plus de lexique ! Bardamu aurait pu épouser Milady. J’ai tellement aimé Céline que je ne le lis plus : à un certain âge, lire, c’est essentiellement relire.  Je ne relis plus le Voyage. Et les mousquetaires sont de vieilles dames qui croient à l’élégance du bikini ! La littérature est parfois une porte qu’il vaut mieux éviter de poncer !  Ne pas relire, parfois ne plus lire du tout, c’est permettre à l’herbe de rester folle !