Lors d’un dîner avec une amie, nous en vînmes à deviser du changement. Pas des réformes politiques, c’est trop vulgaire. Pas des évolutions des règles du handball, nous n’y connaissons rien. Ni du fait que, avec l’âge, les merguez sont moins sympathiques que les chipolatas mais du changement véritable, c’est-à-dire de notre capacité à changer de point de vue en nous modifiant en profondeur. Mon amie soutenait l’idée qu’aucun changement profond n’est possible pour un être humain. Je soutenais exactement l’inverse en invoquant le fait que toutes les certitudes peuvent être mises à mal dans un laps de temps court. Qui avait raison ? Qui avait tort ? Au fond, qu’est-ce qu’une certitude ? Une sorte de falbala dont s’ornent les dames de piètre compagnie ou une manière d’équivoque qui vous rend moins serein à mesure que vous l’approfondissez ? Nous avons chacun déversé notre hotte de citations passant de Spinoza au marquis de Tombelaine, de Paul Préboist à Pulcinella. J’en vins à illustrer mon propos par un syllogisme un peu tordu. L’œuf peut être mangé d’une dizaine de façons : mollet, brouillé, cru… Dans la plupart des cas, l’homme est plus complexe qu’un œuf. L’homme est donc plus transformable qu’un œuf. La certitude est peut-être le tombeau des facéties et donc de l’énergie vitale qui fait de nous de mauvais coucheurs et de joyeux drilles, concluais-je aristocratiquement ! Pour mon amie, la transformation humaine est un long processus, une dérive sans fard qui donne à la gérontologie ses quartiers de noblesse : c’est une conservatrice. Elle croit à la permanence des choses, c’est-à-dire à la polycratie du dégoût et la prévalence des rides. Parfois, elle se dit nietzschéenne, parce que la volonté est un tic de l’incroyance. Elle m’a dit de l’herpès qu’il pouvait être appréciable sous un certain éclairage. Elle ne croit pas à la suppression des éruptions cutanées. Nous avions presque fini notre bouteille de rouge, lorsque les pâtisseries arrivèrent sur la table. J’avais pris un Paris-Brest, car c’est ma façon de voyager et de ne pas découvrir l’histoire navale. Elle, comme à son habitude, avait commandé un café. Elle est diabétique. Elle me regarda alors avec ce sourire froid qui la rend si adorable : « je peux goûter ? ». Finaud, je la toisai et lui dis: « tu vois, tu as tort ! ». Elle reposa la petite cuiller qu’elle allait déposer dans sa bouche déjà entrouverte. Elle mit sa main dans les cheveux. Ses doigts étaient comme des épines de pin dans un paradis d’aubépines. Moi, j’étais fier comme une brindille sèche. Elle prit sa tasse et, avant d’absorber son jus, murmura : « ce que tu peux être agaçant ». Je lui rétorquai que, en nous, la royauté perdure et qu’elle nous métamorphose. Il y a des successions, des régences et des coups d’Etat. Nous devenons progressivement des solitaires infanticides. A la fin de notre vie, nous avons tué l’enfance en nous, vêtus de pourpre : on ne peut pas dire que cela ne soit pas un vaste chantier.