Promenade dans Paris

Qu’il fasse beau ou qu’il fasse beau –  la pluie semble avoir disparu des radars franciliens -, c’est mon habitude de me promener à travers Paris et sa banlieue. Il y a de nouveau des grues, des chantiers et des bâtiments qui s’élèvent. On respire mieux dans la poussière si vraie du ciment. Paris se transformait en voie royale pour déambulateurs. Ce n’est pas encore gagné mais le tribunal, la philharmonie, la nouvelle église orthodoxe, les tramways et la canopée des Halles redonnent un peu d’espoir. Pour construire, il faut savoir raser. La destruction est aussi une passion créatrice. Les quartiers de la bibliothèque nationale et de la Seine-Saint-Denis, aussi vilains soient-ils parfois, sont préférables à rien. Une ville n’est pas un organisme vivant : c’est une affluence de parasites qui s’entredévorent, s’annulent et se régénèrent. J’adore l’idée que les prairies, les forêts et les champs disparaissent sous la prolifération parasitaire. Les métropoles ont un rapport direct à la métaphysique. Pourquoi y a-t-il du mortier plutôt que rien ? Comme le dit Nietzsche des poètes, les villes « n’ont pas la pudeur de leurs aventures ; elles les exploitent ». Certaines cessent d’être aventureuses. Elles s’arrêtent de se guider elles-mêmes dans la discipline foutraque de leur chaos pour s’engouffrer dans le néant nostalgique. Dans ces cités, il y a des plaques commémoratives sur lesquelles on apprend que tel roi a déféqué à l’auberge machin-chose. Tout est transformé en un vaste urinoir où l’ammoniaque allie la rose et l’aboulie. Parfois, on pense à Léon Bloy habitant Cochons-sur-Marne. La mort rôde alors sous la chapelure des rénovations des bâtiments anciens. Le suicide en vient à ressembler à de la vitalité. Paris, lui, resplendit quand les marteaux piqueurs font la fête. On a envie de tout bétonner, même le miel. Si seulement, on pratiquait le courage des gratte-ciels et l’héroïsme de l’équarrissage des quartiers historiques : ce serait encore plus poétique. En grec, la poésie est l’action de faire.  Pour Aragon, faire relevait de la commission, de la grosse. Peu importe d’ailleurs, il n’y a plus de paysan de Paris. Mais il reste tant de traités du style à écrire pour que, enfin, nous devenions ce que nous en sommes dans un monde qui ne cesse de perpétuer les transformations contre l’esprit de bourgade et des culs-de-plomb. Je m’arrête une seconde devant les grands moulins de Pantin en me posant cette question : les mouffettes ont-elles un jour dénigré leur terrier ? Aussi incongru qu’un vrai créateur parlant de politique.  Il y a des vulgarités qui ne méritent pas même l’hypothèse d’un renoncement à l’acier.